Une pizza margherita garnie d’œufs durs et d’une bonne dose de mayonnaise. Avec cette singulière, la Rossini est devenue un plat emblématique de la ville de Pesaro, dans l’est de l’Italie. Cependant, dans le reste du pays, elle suscite l’indignation, comme le relate le site milanais « Il Post ».

« Lorsque j’invite des à la pour manger une pizza et que je me rends compte que je n’ai ni mayonnaise ni œufs, c’est une catastrophe », confie Andrea Petreti, né et grandi à Pesaro, dans la région des Marches. « Je dois alors choisir entre emprunter ces à un voisin ou retarder le pour aller les acheter au supermarché. »

Pour ceux qui ne connaissent pas la culture gastronomique de Pesaro, les préoccupations d’Andrea Petreti peuvent sembler excentriques, voire blasphématoires. Pourtant, précise-t-il, « ici, on mange souvent la pizza ainsi : avec des œufs durs et de la mayonnaise. Que ce soit au dîner, au , voire même au petit . »

Un hommage au compositeur Rossini ?

Cette combinaison d’ingrédients est typique de ce qu’on appelle la Rossini, une pizza dont les origines restent floues mais qui, selon certaines sources (notamment les notes historiques figurant souvent dans les premières pages des menus des pizzerias de Pesaro), serait apparue dans les années 1960 dans un bar de la ville, le Montesi, initialement pour accompagner l’apéritif.

Cette pizza est dédiée à Gioachino Rossini [1792-1868]. Le compositeur de Pesaro, en plus de ses opéras comiques parmi les plus célèbres de l’histoire, était un cuisinier émérite et un fin connaisseur de produits raffinés qu’il ramenait souvent en Italie après ses tournées à l’étranger. On lui attribue plusieurs recettes, dont les macaronis agrémentés de champignons, truffe, tomate, jambon cru, crème et champagne, connus sous le nom de maccheroni alla Rossini.

« Ils me regardent comme un extraterrestre »

Depuis quelques décennies, grâce en partie à son nom prestigieux, la pizza Rossini a acquis une telle importance symbolique et « identitaire » pour Pesaro qu’elle a été revisitée et se décline en de nombreuses variantes. Les pizzerias s’amusent parfois à disposer la mayonnaise sur la pizza en créant des motifs et des formes distinctives.

« Quand je quitte Pesaro, je me rends compte que la plupart des gens à qui j’en parle trouvent cette alliance d’ingrédients contre-nature et me regardent comme un extraterrestre », raconte Petreti. « Mais pour moi, c’est tout l’inverse : une pizza sans mayonnaise est tout simplement inconcevable. » De fait, ajoute-t-il, la Rossini est perçue comme une abomination, non seulement en dehors de la région des Marches, mais aussi à quelques kilomètres seulement de Pesaro.

Délimiter précisément le territoire où la pizza Rossini est reconnue comme une pizza normale n’est pas facile. On la trouve certainement dans une bonne partie de la province de Pesaro et d’Urbino, de Fano à Fossombrone, bien que, à mesure qu’on s’éloigne de Pesaro, elle glisse plus bas sur les menus. Parfois, on trouve également la Rossini en Romagne, surtout à Cattolica, mais rarement plus au nord. Au sud, les frontières de la Rossini semblent s’arrêter à Senigallia, où quelques pizzerias la proposent encore, alors que, dès Jesi ou Ancône, elle disparaît.

« S’amuser avec la mayonnaise : c’est génial »

Comme souvent, l’originalité des ingrédients de la Rossini provoque une indignation quasi revancharde chez ceux qui ont une vision plutôt traditionaliste de ce que doit être une pizza.

Pourtant, assure Daniele Caggiano, pizzaïolo à Fano, « il n’y a finalement pas de grands sacrilèges : ce n’est jamais qu’une margherita à laquelle on ajoute après cuisson des œufs durs tranchés et une bonne dose de mayonnaise, souvent maison ». Et bien sûr, la pizza se décline à volonté : « Pour un pizzaïolo, l’intérêt, c’est de s’amuser avec la mayonnaise, d’ajouter une touche originale à la sauce, ou de l’associer à des ingrédients plus raffinés. En d’autres termes, nous aimons expérimenter, créer des Rossini façon gourmet. »

Interrogé sur les critiques fréquentes contre la Rossini sur les , Caggiano répond qu’au cours de sa carrière, il a é à toutes sortes de pizzas – de la pizza à l’ananas à celle au melon. « C’est une question de culture culinaire. En Italie, nous avons tendance à aborder ce sujet avec un certain conservatisme, en partie parce que, comme tout le monde le sait, nous sommes très fiers de notre cuisine. »

Un symbole fabriqué

Alberto Grandi, professeur d’histoire de l’alimentation à l’université de Parme et auteur du livre *La cucina italiana non esiste* [« La cuisine italienne n’existe pas », non traduit], affirme que la Rossini est un exemple typique d' »invention de la tradition », c’est-à-dire de la création ex nihilo d’un plat, autour duquel un récit fondateur a été construit par la suite. « Associer une pizza au nom de l’un des plus célèbres représentants de la culture locale est un excellent moyen de la rendre reconnaissable », explique-t-il.